RÉSUMÉ :

L’une des visions stratégiques du gouvernement camerounais à l’horizon 2035 est de réduire la pauvreté à un niveau acceptable, en augmentant l’accès à une éducation de qualité et en intégrant les populations dans le processus de développement. L’éducation est en effet indispensable à l’exercice des autres droits fondamentaux de l’homme. Elle constitue par ailleurs un intérêt social commun pour toutes les couches de la population. Selon les zones géographiques, le genre ou encore l’âge, les données sur la réalité de l’Education Pour Tous au Cameroun sont différenciées.

La création de zones d’éducation prioritaire participe de cette différenciation. Dans la localité du Logone et Chari située au Nord du Cameroun, l’accès à l’éducation reste préoccupant. Nombre d’enfants, filles comme garçons, s’occupent aux tâches d’élevage, de cuisine ou encore d’artisanat, victimes d’un mode de vie dans lequel la transmission des métiers de famille est plus importante que la scolarisation. Mais le cas de la jeune fille reste encore plus préoccupant. Elle est très souvent confinée à un rôle domestique, les parents ayant du mal à saisir l’importance de l’éducation pour l’avenir de leurs jeunes filles.

Une étude menée dans cette zone par BLAS in Africa, au courant de l´année 2011, a d’ailleurs permis de noter que l’exclusion des filles du système scolaire aggrave le phénomène des écoles mortes et des écoles désertées qui y est constaté. C´est pourquoi BLAS in Africa voudrait, dans le prolongement de l´étude conduite sur le terrain, contribuer à enrayer le décrochage scolaire des jeunes filles dans les écoles primaires du département du Logone et Chari, en facilitant l’accès de celles-ci à une éducation de qualité.

L’association  BLAS in Africa vise à promouvoir l’effectivité de l’éducation intégrale pour tous, en agissant au niveau stratégique pour influencer positivement les prises de décisions sur les questions éducatives.

Le droit de toute personne à l’éducation a été consacré par de nombreux textes juridiques internationaux et nationaux et les États signataires se sont engagés à réaliser les objectifs d’une éducation de base de qualité pour tous à l’horizon 2015, en mettant particulièrement l’accent sur l’accès de tous à l’école primaire et sur l’éducation des filles.

Pourtant l’éducation pour tous en Afrique fait toujours face à de nombreux obstacles. On peut citer entre autres le poids des traditions, la pauvreté, l’insuffisance d’infrastructures, l’inadéquation des politiques publiques de l’éducation par rapport aux réalités locales.

Afin de contribuer à l’amélioration du seuil de l’éducation au Cameroun, BLAS in Africa s’est fixé pour axes d’intervention prioritaires :

  • l’organisation de sessions de formation des acteurs de la société civile sur les problématiques du droit à l’éducation ;
  • la documentation par des études et des recherches, de l’état des lieux du droit à l’éducation ;
  • la production et diffusion des supports d’information tels que les documents de recherches, les films documentaires sur l’état du droit à l’éducation ;
  • la réalisation des projets de terrain, ainsi que des plaidoyers et lobbying sur le droit à l’éducation ;
  • l’organisation de campagnes de sensibilisation et des rencontres scientifiques sur promotion du droit à l’éducation.

Pour mener à bien ses actions, BLAS in Africa comporte, dans sa structuration interne, un Service « Projets », un Service « renforcement des capacités », un service « educ@net », ainsi qu’un Observatoire du droit à l’éducation en Afrique.

 

CONTEXTE ET JUSTIFICATION :

Le faible taux de scolarisation dans certaines zones du Cameroun s’explique par le décrochage scolaire et par le phénomène dit des écoles mortes. Dans le Logone et Chari situé au Nord du pays et défini comme zone d’éducation prioritaire, ce phénomène est de plus en plus accru, surtout chez les jeunes filles. Selon les autorités locales, environ 5% seulement des filles accèdent à la dernière année du primaire en zones rurales. L’étude menée en 2011 par BLAS in Africa a permis d’identifier quelques facteurs du déclin de l’éducation dans cette localité.

Tout d’abord, les enfants fréquentent les écoles au gré des saisons et des tâches domestiques. L’avènement de la période favorable aux pâturages entraîne le déplacement des familles vers la zone du Serbewel aux abords du lac Tchad. Loin de ne concerner que les familles pratiquant l’économie pastorale, la même situation s’observe à d’autres périodes chez les enfants dont les familles pratiquent l’agriculture, lors de périodes des semailles liées au retour de la saison des pluies. Le nomadisme favorise aussi les décrues de scolarisation dans de nombreux villages, occasionnant des écoles mortes.

Ensuite, l’importance de la natalité dans cette région  génère une pression énorme sur les faibles ressources disponibles, la pratique courante de la polygamie et l’absence de contrôle des naissances aggravant le phénomène. Etant donné que la prise en charge alimentaire de nombreuses progénitures incombe généralement aux mères respectives des enfants, ces derniers sont eux-mêmes amenés très tôt à se prendre en charge, les garçons par des activités d’agriculture et d’élevage, les filles par des tâches domestiques ou des mariages. De ce fait, pour les filles, le poids de la culture impacte sur les possibilités d’émancipation et de sortie du cercle de la famille nucléaire.

Aussi, la résistance des parents au système scolaire ne favorise pas le changement de donne.  Interrogés lors de l’étude de 2011 sur la question de la scolarisation de leurs filles, les parents dans les villages avouaient n’y voir aucun intérêt et disaient redouter que leurs filles n’en sortent dépouillées de leur vertu au point de perdre les atouts essentiels au mariage, la virginité en l’occurrence. Au regard de ces préjugés, l’enracinement persistant des pratiques du mariage précoce renforce l’idée de l’incompatibilité de l’école avec le statut traditionnel de la femme.

Par ailleurs, on peut évoquer comme obstacle à l’éducation la défiance des populations du Logone et Chari à la suite des évènements de 1979. Les populations de ce village, frustrées de s’être mobilisées financièrement sans suite pour la construction d’une école, pour la réalisation de laquelle elles s’en étaient remises à une élite nantie de leur communauté du village voisin de Karena, entreprirent une contestation qui, devenue violente, fut réprimée dans le sang par les autorités. Les populations évoquent encore un massacre au cours duquel plusieurs centaines de personnes furent tuées, laissant leur village complètement exsangue. Cette répression prit, dans les représentations de l’ensemble de la Communauté Arabe, les proportions d’une persécution identitaire. Le souvenir des discriminations coloniales et de l’arbitraire de l’Etat post-colonial dont l’épisode des tueries de Dollé continue de plonger des populations soit dans un état de victime soit dans un droit à réparation et une critique qui se manifeste par l’esprit réfractaire aux politiques publiques d’éducation.

A cet événement qui conforte les citoyens dans une logique de travail familial et de négation de l’école pour les filles, il faut ajouter le cas des enseignants qui eux aussi, désertent les écoles pour des raisons économiques. Ceci accentue les dysfonctionnements du profil de scolarisation locale qui reste très inégalitaire du point de vue de l’égalité des chances entre sexes, et entre les parties rurales de la zone et ses parties urbaines.

Eu égard à ce qui précède, il appert que l’absence des enfants à l’école est à corréler à leur utilisation en main d’œuvre dans le circuit de l’économie rurale et domestique, affecté par l’insuffisance de la production céréalière, le sous-équipement des agriculteurs, des pêcheurs et des éleveurs. En parallèle, les résistances culturelles confinent les filles dans une vie en marge de tout système scolaire, marquée par des tâches domestiques et les mariages précoces.

La situation de la jeune fille, particulièrement vulnérable, a été prise en compte lors de la Conférence mondiale sur l’éducation tenue en 1990 à Jomtien, en Thaïlande : les participants s’étaient ainsi engagés à réaliser les objectifs d’une éducation de base de qualité pour tous à l’horizon 2015, en mettant particulièrement l’accent sur l’accès de tous à l’école primaire et sur l’éducation des filles. C’est pour contribuer de manière pratique et efficace à la réalisation de cet objectif que BLAS in Africa a mis sur pied ce projet de « lutte contre le décrochage scolaire de la jeune fille dans le Logone et Chari ».

  • OBJECTIF GLOBAL :

Contribuer à la lutte contre le décrochage scolaire des filles dans les écoles primaires du Logone et Chari (Extrême Nord du Cameroun)

  • OBJECTIFS SPÉCIFIQUES :

– Susciter l’adhésion des autorités traditionnelles, religieuses et administratives afin que les jeunes filles retournent à l’école;

– Sensibiliser les parents sur l’importance de l’école et  l’obtention des actes de naissance.

-Développer une offre d’éducation spécifique au Logone et Chari.

RÉSULTATS ATTENDUS :

A l’issue de l’implémentation de ce projet,

  • 15 écoles communautaires sont créées ;
  • Au moins 40% des filles recensées ont décidé de reprendre le chemin de l’école ;
  • 80 rencontres de sensibilisation des parents sont organisées ;
  • Une plateforme de concertation sur le projet scolaire est créée ;
  • Un document de proposition sur un projet scolaire spécifique au Logone et Chari est élaboré.

PUBLIC CIBLE ET BENEFICIAIRES:

Public cible : Les parents, les autorités traditionnelles, religieuses et administratives

 

Les bénéficiaires directs: Les filles de 3 à 18 ans 

 

Les bénéficiaires indirects : Les parents et les instituteurs

METHODOLOGIE :

La méthodologie du présent projet est centrée sur les éléments suivants :

  • Lobbying auprès des autorités administratives, traditionnelles et religieuses pour susciter l’adhésion au projet ;
  • mise en place d’un programme de petites bourses scolaires au profit des jeunes filles recensées (ces bourses couvriront les frais de scolarité, les fournitures scolaires et un repas/du lait chaque jour, pour chaque bénéficiaire);
  • Veille stratégique et informationnelle tendant à déceler et évaluer les changements de comportements.
  • Questionnaires d’enquête et pré-tests;

ACTIVITES :

AXE 1. La structuration du rôle social des autorités traditionnelles et des parents

1. L’école de la seconde chance organisée avec les autorités traditionnelles

  • créer des écoles communautaires de la seconde chance sur un modèle centré sur l’apprentissage des métiers pour les jeunes filles sorties précocement du système scolaire notamment pour une situation matrimoniale précaire ;
  • encourager les parents et conjoints à accepter que la jeune fille et la fille mariée bénéficient d’une formation.

2. La motivation des parents à l’intégration scolaire de leurs filles

  • mettre en place une politique de soutien financier des parents (petites bourses) qui auraient consenti des efforts mesurables pour améliorer la scolarisation de leurs enfants, en particulier des filles[1];
  • appuyer les parents afin qu’ils établissent les actes de naissance de leurs enfants ;
  • mettre en place des systèmes de ferme scolaire en impliquant directement les communautés dans le fonctionnement de l’école.

AXE 2. La sensibilisation et l’implication des autorités religieuses

Les activités de cet axe seront conduites en étroite collaboration avec l’Evêque et le Diocèse de Yagoua.

1. Création d’une offre scolaire spécifique au Logone et Chari

  • s’appuyer sur les activités religieuses pour faire des études sur les attentes scolaires des familles ;
  • élaborer avec la participation des chefs de famille, un document portant offre d’éducation spécifique au Logone et Chari ;
  • mettre sur pied une charte de scolarisation de la jeune fille, destinée à être signée par les parents et les conjoints ;

2. Mise sur pied des conseils éducatifs et des bénévoles dans les lieux religieux

  • créer un espace pour le suivi psychosocial de la jeune fille au sein des lieux religieux ;

mettre à la disposition des établissements scolaires, en cas de stricte nécessité, des bénévoles pour certaines formations.

AXE 3. Lobbying auprès des autorités administratives

1. L’amélioration du recrutement et de la prise en charge des enseignants :

  • évaluer la politique de contractualisation d’enseignants et son impact dans les Zones d’éducation Prioritaires ;
  • définir une stratégie de recrutement qui prend davantage en compte les spécificités locales s’agissant des profils des recrues, et qui prépare le personnel enseignant affecté dans ces localités ;
  • garantir en amont au bénéficiaire, l’accès à la solde dès sa prise de service ;
  • revoir le statut des maîtres communaux et adapter leur traitement aux exigences du droit du travail ;
  • entreprendre d’importants efforts pour le recyclage des enseignants en les familiarisant aux méthodes pédagogiques adaptées au

2. La refonte du contenu éducatif

  • réformer les contenus en les adaptant aux demandes locales, d’où la nécessité de dialoguer avec les populations sur leurs demandes et leurs besoins en termes d’apprentissage, afin de réduire les tensions et les contradictions entre les impératifs liés aux modes de production locaux et l’offre d’éducation ou de formation ;
  • outiller le dispositif pédagogique de l’école pour qu’elle puisse immédiatement rendre service à la communauté. Par exemple intégrer l’apprentissage des métiers ruraux dans le temps de formation à l’école et adapter les modes et les objectifs d’apprentissage aux besoins basiques des familles ;
  • sortir du modèle du calendrier scolaire national unique au cycle primaire, de sorte à l’adapter localement au mouvement des saisons.